Slimane Tirera, chef de projet pour Paris 24 revient sur son parcours jalonné d’expériences diverses, et sur les difficultés que peuvent rencontrer les jeunes de banlieues.

Slimane Tirera. DR

Slimane Tirera, âgé de 33 ans, a grandi à Épinay-sur-Seine et y vit encore aujourd’hui. Il lance en 2014 le média NewVo. Il est aussi acteur de terrain, puisqu’il connaît de nombreux membres d’associations issues des quartiers populaires. Il travaille également en tant que chef de projet engagement citoyen Paris 24 (JO 2024). Entre deux rendez-vous, nous l’avons rencontré.

Ton parcours symbolise la croisée des chemins entre les quartiers et la culture dominante. Quelles sont les différences entre ces deux mondes ?

Quand on n’a connu que les zones urbaines sensibles, zones de sécurité, zones d’éducation prioritaire, on a un esprit de zonards. On est automatiquement mis dans des cases à part et on finit par se cataloguer tout seul. Je pars de beaucoup plus loin que les gens qui habitent les centres-villes et ceux qui ont été favorisés. La grande différence que je retiens est qu’il faut avoir indispensablement la culture du dépassement de soi.

Quelles difficultés as-tu rencontrées tout au long de ton parcours ?

C’est le manque d’accès à l’information. Le plus compliqué a été de savoir les choses élémentaires en même temps que les autres et de se créer un réseau. On a dû tout créer nous-mêmes, ce n’est pas la faute de nos parents. Qu’importe le milieu social, il faut partir avec les mêmes bases. Par la suite, par le biais d’associations (ex : Jeunesse en mouvement), j’ai pu transmettre mon savoir à la génération suivante, qui a elle-même comme devoir de retransmettre son savoir à la génération d’après.

On regarde encore les gens issus des quartiers à travers leurs identités sociales, culturelles, et encore parfois ethniques.

Pendant la coupe du monde 2018, les gens étaient fiers des bleus issus des quartiers, tout en ne voulant pas que les quartiers célèbrent sur les Champs Élysées la victoire finale. Comment peux-tu expliquer cette ambivalence/ fierté-rejet entre les quartiers et le reste du pays ?

Le sport et la culture sont des vecteurs de biens communs. Tout le monde se retrouve autour des valeurs universelles qu’ils véhiculent. Mais ce qui pose problème, selon moi, c’est qu’on regarde encore les gens issus des quartiers à travers leurs identités sociales, culturelles et encore parfois ethniques. On vit séparés mais égaux et pour moi désormais il faut plus d’actes et moins de mots.

On a beaucoup d’exemples de jeunes issus de la banlieue ayant réussi dans le milieu sportif, néanmoins les mêmes problématiques demeurent dans les quartiers, comment l’expliques-tu ?

Le manque de transmission de l’histoire. Les aînés ne partagent pas assez avec les plus jeunes qu’eux et malheureusement les plus jeunes ne sont pas non plus à la recherche de l’histoire des plus anciens. Il n’y a pas ce lien qui devrait y avoir entre les générations, et qu’on devrait trouver dans les endroits de culture, par exemple des médiathèques, des points jeunesses, etc… Il faut également faire des projets en commun, histoire de nouer quelque chose. Peu importe le secteur : l’insertion, l’écologie, la culture ou encore le sport. Ça peut prendre du temps, mais une fois qu’on voit le fruit de nos travaux, on ne regrette pas. Seulement, il faut avoir le courage de le faire.

Connais-tu des exemples de réussites de collaborations entre une personne venant des banlieues et une entreprise privée notoire ?

Oui. La jeune génération s’est approprié les codes des marques et des secteurs privés. Ils utilisent les marques à but lucratif et à terme finissent par créer leurs entreprises. Ce qui leur permet de devenir eux-mêmes des modèles de réussite.

Penses-tu que les prochaines échéances sportives vont re-solidariser la jeunesse francilienne par le biais du sport ?

Les jeunes aiment le sport et aiment le vivre et croient aux nouveaux héros sportifs en général. Donc le retour de l’accès aux stades, le retour des célébrations et des compétitions sportives vont faire du bien aux jeunes franciliens et à la jeunesse française tout court.

En fin de compte, je considère que les entreprises privées donnent des leçons aux pouvoirs publics.

Tu es en plein cœur des JO de Paris 2024, certaines épreuves ont lieu en Seine-Saint-Denis, est ce que tu as vu une dynamique qui profite aux acteurs locaux en Seine-Saint-Denis ?

On travaille avec les institutions, les associations, et les citoyens pour réussir. L’essentiel est de ne pas reproduire les mêmes erreurs que nos aînés.

Est ce que tu as remarqué une évolution dans la collaboration des marques sportives comme Nike avec les territoires de banlieues ? Et qu’est-ce que t’en penses ?

Les marques sont beaucoup plus en phase avec la société et les jeunes. Par le biais de leurs initiatives, les marques ont une longueur d’avance sur les politiciens et les institutions en général. En fin de compte, je considère que les entreprises privées donnent des leçons aux pouvoirs publics. Ces derniers sont encore trop conservateurs et réactionnaires sur une multitude de questions de société.

Arnie Hayatou

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