Les spectateurs de football n’avaient jamais si bien entendu le bruit du ballon. Depuis le début de la pandémie, les clubs de foot ont l’interdiction de recevoir du public dans leur stade. Conséquence : les matchs ne sont plus du tout les mêmes.

Un caméraman devant les tribunes vides du Deutsche Bank Park, stade de foot de Francfort, le 30 mai 2020. Le championnat allemand a repris le 16 mai dernier. Il est le premier des championnats européens à avoir rouvert sa compétition après la crise sanitaire de ce début d’année. SWEN PFORTNER / AFP

Il ne se passe plus rien dans les stades de football. Enfin. À part les 22 mecs sur le terrain, l’écho du bruit sourd de leurs pieds qui tapent dans le ballon, les cris du gardien de but sur un corner, l’entraîneur qui demande à ses joueurs de redescendre. En fait, le foot professionnel sans le public, c’est un match dans le stade municipal de ta ville. Et si vous avez entendu des chants de supporters en regardant un match ces derniers jours, ça ne venait sûrement pas des tribunes. Certains championnats ont décidé de diffuser sur des enceintes installées autour du terrain les ambiances de matchs enregistrées avant le confinement du mois de mars. Depuis la mise en place des règles de distanciation sociale entrées en vigueur au début de la pandémie de Covid-19, le gouvernement a interdit aux supporters de venir soutenir leur équipe depuis les tribunes. Les joueurs disputent donc leurs matchs dans des stades complètement vides.

En dehors des huis clos exceptionnels imposés en sanction à l’égard des clubs dont les supporters auraient enfreint les règles de conduite en tribune, jamais dans son histoire le football n’a été joué sans public. En plus des dégâts que causent ces mesures sanitaires sur l’attrait des matchs, elles infligent des conséquences financières très inquiétantes pour l’avenir des clubs. L’arrêt précoce de la saison dernière les ont amputé d’une belle part de leurs revenus annuels habituels et le fait de ne pas pouvoir vendre de billets continue d’affaiblir leur économie. Sans parler de la volonté de Mediapro, le diffuseur des matchs de Ligue 1, de revenir sur les termes du juteux contrat (814 millions d’euros par an entre 2020 et 2024) que lui a fait signer la Ligue de Football Professionel. : « On veut renégocier les prix, a déclaré le patron de Mediapro lors d’une conférence de presse. Personne ne pouvait prévoir les effets socio-économiques du covid ».

À la place des chants de guerre des supporters, on entend l’arrière gauche qui réclame la touche, l’entraîneur qui replace ses joueurs. Comme si on avait retiré aux matchs ses habits.

Rhabiller le football

On ne connaît rien de l’avenir sanitaire du pays, et aucun indice, ni dans le discours du gouvernement, ni dans les chiffres de contamination du coronavirus, pourrait nous laisser croire que tout ça va bientôt s’arrêter. Ce dont on s’est rapidement rendus compte en revanche, c’est que les matchs n’étaient plus du tout les mêmes. En interdisant les supporters d’entrer dans les stades, on a retiré au match de foot sa musique. En lui enlevant son public, on lui a retiré son récit. Ses drames, ses miracles, ses sifflets, ses hourras. On s’est rapidement rendus compte aussi que le foot était un sport qui devait être vu. Et de près. À la place des chants de guerre des supporters, on entend l’arrière gauche qui réclame la touche, l’entraîneur qui replace ses joueurs. Comme si on avait retiré aux matchs ses habits. Reste plus que le techniquo-tactique. Il manque le roman. Il y a les paroles, manque la musique. Le gars qui a attendu 4h sur un banc avant le match avec ses copains pour rien rater de l’odeur du match. Le vieux qui vient soutenir le club de son enfance, celui de son père. C’est la vie qui se joue là. Vous avez rien compris au foot si vous croyez que c’est 11 mecs qui doivent mettre le ballon dans la cage des 11 autres. Vous avez pas compris que c’est de la vie qui se jouait ici. Quand Zidane dansait autour du ballon, c’était pas pour rien. Lui qui voulait ressembler au héros de son enfance, Enzo Francescoli, parce qu’il le trouvait « beau quand il jouait ».

Capture en plein vol d’une des merveilles de Zinédine Zidane. Un soir de demi-finale de coupe d’Europe disputé face au Portugal, le 28 juin 2000, le meneur de jeu français est sorti du temps et a quitté l’espace pour amortir le ballon de sa poitrine. CREDIT : Getty Images

C’est d’être beau qu’il s’agit. Courir pour la victoire. Celle des 45, 60 ou 80 milles personnes autour. C’est du beau qu’on vient voir dans un stade. Le résultat intéresse les investisseurs, ou les parieurs, mais ce qui est important, c’est la beauté. Et la beauté, faut qu’elle soit vue. Un chanteur peut aussi bien chanter qu’il le veut, mais s’il a pas d’oreilles pour l’écouter, il reste dans sa salle de bain. Si on lui retirait les gens de sa salle de spectacle, est-ce qu’il monterait sur scène ? Alors foutu pour foutu, ils auraient même pu retirer les caméras et se départager entre eux les places du classement.

Parce que le foot c’est dire. Prendre le ballon au milieu des millions de personnes qui le regardent, c’est prendre la parole. Et si quelqu’un parle, il faut que quelqu’un entende. C’est là une preuve ontologique de la nécessité de s’unir et celle de faire ensemble. Il lui faut un témoin direct au génie, pas un anonyme derrière sa télé sur un canapé. Là, tout de suite, à côté du geste technique, à côté du contrôle orienté. C’est peut-être pas Neymar tout seul qu’est génial, ni le bouffeur de hot-dog dans les tribunes, c’est tous les deux ensemble. Le public n’est pas là pour faire l’éloge du joueur, il est la pour être le témoin de son génie.

Finalement, qui du gamin qui tend la photo à Neymar ou du brésilien qui prend le stylo pour la signer a le plus besoin de l’autre ?

Ibrahim Benaïssa

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